top of page

24h dans la peau d'un épileptique...

24h dans la peau d'un proche...

 

Parce que nous avons nous aussi une expérience à peut-être faire partager, parce que la vie au quotidien, elle n'est pas que pour ceux qui nous lisent, parce que nous sommes aussi concernés, nous avons choisi de vous faire partager 24h, 24h de nos vies...

7h00


Réveil, généralement sur un léger mal de crâne, difficultés à émerger, j’ai la sensation de ne pas avoir assez dormi. Je dois me lever lentement pour ne pas avoir de vertiges. Je me sens un peu vaseux mais j’ai faim.
Une douche rapide, et le petit déjeuner. Mon café n’a pas un goût fameux aujourd’hui, le pain est un peu fade. Je coupe le repas par quelques cachets que je dois impérativement prendre. Mon pilulier est divisé en jours de la semaine, une boîte par jour, trois cases par boîte. C’est le rituel du dimanche soir de le remplir : un cachet pentagonal le matin et le soir, un jaune le midi, un petit rond midi et soir sans compter les anti-acides, les vitamines, les antalgiques, celui qui va empêcher mes reins de former des calculs, celui qui va aider à la digestion, l’éventuel anti-dépresseur. Je ne prends pas tout en même temps et heureusement d’ailleurs.





8h00


Mon chauffeur vient me chercher. Je n’ai pas le droit de conduire, pourtant, mon permis, je l’ai. Ou plutôt, je l’avais. Pour l’instant il est dans mon dossier médical, chez mon neurologue. Je ne l’ai pas passé à l’âge de 18 ans comme tout le monde, j’avais déjà 24 ans. C’est compliqué d’expliquer pourquoi j’ai pu le passer si tard. Mais j’ai dû attendre d’avoir une rupture d’un an dans mes crises, passer une visite médicale et demander l’autorisation du préfet. J’ai eu de la chance, mes crises avaient stoppé trois ans. Je m’étais cru tiré d’affaire à cette époque.
C’est un contrat moral entre moi et la société. Je ne prends plus le volant, ce serait trop dangereux. Et puis je suis raisonnable, je n’ai pas envie d’estropier ou, pire, de tuer quelqu’un. Juste que je crève d’envie de conduire. J’envie les gens qui prennent le volant, je rêve de m’installer à nouveau à la place du chauffeur.
Nous arrivons sur place, je prends mon poste. J’enfile mon masque de type heureux d’être là. Je n’aime pas parler de mes souffrances et lorsqu’on me demande si ça va, je sais qu’on n’attend pas de moi que je réponde sincèrement. Je dis oui et tout le monde est content.





9h00


Je travaille d’arrache-pied. Mon métier est un catalyseur pour moi. Je m’y donne à fond, j’en ai besoin pour me prouver que je suis capable de quelque chose. Si j’avais écouté mes médecins, je les aurais laissé me déclarer invalide. Pas de travail, rien de possible, cantonné chez soi à attendre la prochaine crise. Je veux travailler et je peux le faire. Je sais qu’il y a des ratés mais je tiens le coup.

​



10h00


Première petite migraine du jour. Je lève un peu le pied. Ce n’est pas encore très douloureux et ça passera vite. Je prends un verre d’eau, pas trop glacé, je souffle un coup. Quelques fois, je sors deux minutes sur le parking pour m’aérer. J’inspire profondément, j’en profite pour jeter un coup d’œil à mon téléphone portable puis je repars au travail.





11h00


Coup de fatigue. Je lutte un peu contre le sommeil qui essaye de me prendre. Je fais quelques pas. J’ai envie de rentrer chez moi mais j’ai encore sept bonnes heures de travail. J’adore mon métier mais je sais que tous les jours je commence à compter les heures arrivé à un certain moment.
Je me passe la main sur le visage. La fatigue est mon pire ennemi parce qu’elle est toujours là, elle me colle à la peau.





12h00


J’ai faim ! Mon estomac gronde et mes mains tremblent un peu. Je sens mon attention qui commence à se faire la malle. Je ne peux pas la laisser faire, l’heure du midi c’est toujours notre gros coup de bourre parce que le cabinet ne ferme pas et que l’on change d’équipe. C’est toujours le moment problématique, celui où, évidemment, les patients s’impatientent et viennent trépigner.





13h00


Je prends enfin ma pause repas. 25 minutes mais je sais que je ne vais pas les prendre entièrement. Trop de travail. Je mange rapidement et en silence. Je n’ai pas toujours envie de me mêler aux conversations, entre celles qui ne m’intéressent pas et celles dont je ne sais pas de quoi parlent les gens (tout ce qui est people déjà), je lâche vite le fil. Je pars dans mes pensées.
Sitôt mon repas terminé, je file dans les vestiaires prendre mes traitements tranquillement. Je n’aime pas avaler mes cachets devant mes collègues. Ils savent de quoi il s’agit mais leurs regards me gênent.
Je remonte, reprends mon poste. D’avoir levé le pied pendant quelques temps, j’ai un peu de mal à me remettre dans le bain. Je sens à nouveau la fatigue. Puis j’ai mal à l’estomac. Ça dure à peu près une heure entre brûlures et nausées que je fais passer avec un verre d’eau bu à petites gorgées.





14h00


Je m’offrirais bien une sieste. Mais pas question évidemment. Deuxième mal de tête de la journée. Celui-ci est un peu plus fort que le précédent. J’arrive à l’ignorer en majeure partie. Je n’ai pas le temps de m’en occuper.





15h00


Coup de mou dans la journée. Le rythme ralentit. J’en profite pour boucler ce qui pouvait attendre et dont je n’ai pas encore pu m’occuper. Je jette un œil à mes e-mails parfois, je me détends un peu.





16h00


C’est ce qu’on appelle le bus de 16h00. Tous les patients semblent vouloir arriver en même temps, certains ont même une heure d’avance. On les enchaîne à toute allure dans la machine. Je n’ai pas le temps de penser que j’ai mal au crâne. Mais je me fatigue très très vite. Je cours, je passe d’un patient à l’autre et c’est généralement là que je commence à me planter dans les termes. Ma dyslexie s’entend, je bégaye un peu, je m’embrouille.
Là, j’en ai ras le bol.





17h00


Migraine infernale, à s’en taper la tête contre les murs. Tant pis pour le rythme, je descends au vestiaire prendre un antalgique. Je souffle une minute et je remonte. Je commence à sentir des douleurs un peu partout notamment dans la nuque, les épaules, la colonne vertébrale, les jambes. J’ai la sensation qu’on m’a piétiné. J’ai besoin de m’allonger, je suis épuisé mais je dois encore tenir le coup.





18h00


Dernière ligne droite, je suis en retard. Je boucle mon dernier dossier avec une demi-heure de retard. Lorsque tout est prêt que mon collègue du soir vient prendre la relève, je file. Je ne m’attarde pas à discuter ou quoi que ce soit, je n’ai qu’une envie, rentrer chez moi.
Ma femme vient me chercher avec le petit. Ce n’est pas pratique mais on n’a pas d’autre choix. Ce n’est pas évident de trouver un chauffeur. Ce n’est pas évident non plus de demander.



19h00
Retour à la maison, je n’ai même pas la force d’aller prendre une douche. Je dîne rapidement, je n’ai pas très faim. J’ai envie d’aller m’allonger, je suis fatigué. Je passe un peu de temps avec mon fils et ma femme.
Je prends encore des cachets. Je dois faire attention à ne rien louper pour ne pas déstabiliser le traitement.





20h00 à 23h00



On met le petit au lit, je me plante derrière l’ordinateur. J’ai mal partout, j’en ai un peu ma claque. Certains soirs, je me demande à quoi bon continuer, pour quoi faire, pour qui tenir, qui s’en soucie ? J’ai la sensation d’être Don Quichotte devant les moulins à vent, à tenter d’abattre un géant contre lequel je n’aurais jamais le dessus. Certains soirs, j’ai les larmes aux yeux, envie de m’effondrer, de tout abandonner, j’ai envie qu’on me fiche la paix. Certains soirs j’ai juste trop mal pour continuer.

La musique me donne mal à la tête, la télé m’aveugle un peu. Je finis par me mettre au lit, après quelques derniers cachets. Généralement la fatigue me terrasse et je m’endors vite mais il m’arrive d’être incapable de fermer l’œil. Les pensées tournent parfois dans mon esprit à une vitesse vertigineuse.





00h00-7h00


Au cours de la nuit je vais me réveiller plusieurs fois, souvent pour des douleurs articulaires, parfois pour des spasmes. Je fais des crises nocturnes, je ne sais pas pourquoi, je ne trouve pas l’élément déclencheur.

Au cours de ma journée, j’aurais eu plusieurs spasmes musculaires, certains douloureux, d’autres non, plusieurs moments fulgurants de déprimes, et entre dix et vingt absences qui auront duré quelques secondes. La plupart du temps, elles passent inaperçues, mais pas toujours et dans ces moments-là, il y a toujours quelqu’un pour me le faire remarquer, souvent avec un petit sourire que j’aime mieux ne pas essayer d’interpréter.
En cas de crise, j’ai envie de disparaître, ne plus jamais affronter le regard de mes collègues. Si je me blesse en tombant, on me fait évacuer par le SAMU. Ces moments-là sont les plus humiliants, ceux où j’aspire à être quelqu’un de normal.

7h00



Le réveil sonne. Il est l’heure de se lever. Pas envie. Pas envie du tout. Encore fatiguée. Pas tellement envie d’aller en cours. Ils sont utiles, oui, mais il n’y a pas à dire, certains ne correspondent pas du tout à ce que je veux faire. Vivement les spécialisations. Parfois, j’envie Pic qui fait le métier qui le passionne, même s’il y va toujours à reculons le matin. En même temps, qui est motivé à cette heure, on se le demande ! Moi pas, pas pour l’instant en tout cas. Envie de se rendormir. Quoique. Avec les mauvais rêves, pas forcément. De toute façon, ils sont toujours là, alors…





8h00


J’ai à peu près émergé. Il m’aura fallu une petite demi-heure pour me lever, à peu près autant pour me préparer. Je n’ai jamais été rapide pour me lever mais une fois que c’est fait, je me dépêche pour rattraper le temps perdu. C’est un peu une routine. Ça m’oblige à ne pas lever le pied, dès le matin, à me réveiller plus vite. Je prends mon café. Enfin, mon cappuccino. C’est lui qui m’a fait découvrir ça. Petite pensée donc pour mon meilleur ami, comme tous les matins. C’est devenu un automatisme.
Et pour ceux qui se posent la question, non, je ne pense pas « le pauvre, une journée de plus pour lui, que va-t-il lui arriver ? ». Non. Comme tous les matins, je me rappelle juste du dernier petit-déjeuner que nous avons pris ensemble, chacun derrière notre écran d’ordinateur, à nous parler entre deux tartines. Quand je suis un peu en retard, que je cours sur le chemin de mon école, je pense qu’il rirait bien, s’il le savait. Mais il le saura. Il sait toujours. Quand je sais qu’il commence très tôt, je pense que ça lui fait déjà deux heures de boulot, alors pas question de se plaindre de ce côté-ci non plus.

9h00


Je suis en cours. Enfin, au moins mon corps. J’écoute d’une oreille parfois distraite, parfois attentive. Ça dépend des cours, à dire vrai. Mais bon, comme tout le monde quoi. J’en vois sur leurs ordinateurs, à pianoter alors que le prof ne parle plus. Qui croira qu’ils prennent des notes ? Comment ça j’ai le mien moi aussi ? Oui mais je prends mes cours par ordinateur. Certains. Et je regarde mes mails. Et je prépare le site. Ben quoi ? En ce moment, c’est une de mes activités principales. Il faut bien que je la fasse à un moment ou à un autre.

10h00


Je suis en pause. Tout va à peu près bien. On discute de tout et de rien. C’est assez sympa. Je m’entends bien avec mes amis, ce sont vraiment de bons amis. Ils savent pas mal de choses sur moi. Mais il y a une question que je me pose. S’ils savaient que mon meilleur ami, celui dont je leur parle pas mal, est épileptique, est-ce qu’ils réagiraient de la même façon ? Souvent, je me dis qu’ils auraient un temps de réaction. Peut-être même que l’un ou l’une d’entre eux auraient un air contrit, faussement compatissant. Je n’aimerais pas ça. Les autres devraient accepter ça sans broncher.
D’abord parce que ça n’est pas la première étrangeté que j’ai. Une de plus ou une de moins, on ne fait plus le compte. Et ensuite, parce que ce sont mes amis. Si on s’entend bien, c’est aussi parce que j’aime leur ouverture d’esprit, leur absence de préjugés. Je pense qu’ils ne diraient rien, que ça ne changerait rien. Au pire, je leur expliquerai.
Pour l’instant, je préfère me taire. Si vous pensez que c’est par honte, vous vous trompez. Juste parce que mon meilleur ami est d’abord mon meilleur ami. Il est d’abord médecin. Mari. Père. Et tellement plein d’autres choses. Il n’est pas d’abord épileptique. Alors je ne vois pas de raison de le mentionner. Est-ce que je dis que mon chat a les yeux verts ou que mon voisin de gauche en cours a des tâches de rousseurs ?

11h00


Mon amie qui est à côté de moi me parle de son meilleur ami, avec qui elle discute sur un réseau social. Elle me raconte leur amitié. Et là, gros nœud dans le cœur. Il me manque déjà. Non, je ne suis pas amoureuse. Mais je ne sais pas, j’ai comme une grosse envie de le voir. C’est mon meilleur ami, après tout. J’hésite. Fais, fais pas ? Allez, je tente. J’envoie un petit mail. Bon, rassurez-vous, ça n’arrive pas tout le temps, pas tous les jours, je ne le harcèle pas non plus. J’ai déjà trop peur qu’il trouve que ça fait de trop. Après tout, on s’est déjà vus hier soir. Trop tard, le mail est envoyé. Il ne répondra pas tout de suite, mais ça lui fera une surprise en le voyant. Peut-être pendant sa pause, qui sait ?





12h00
 

Je vais déjeuner. Je fais attention, j’essaie de prendre un peu de tout. Et en quantités suffisantes. Il y en a un qui me tapera sur les doigts sinon. Il surveille mon alimentation. Et mon sommeil aussi. Enfin à peu près tout. Et il détecte tout surtout. Pas question de lui mentir. Il le voit direct. Une sorte de super radar. Et j’ai bien trop peur de savoir d’où il lui vient. Je le sais. Je le connais bien. Très bien même. Tout comme il me connaît bien d’ailleurs, c’est à double sens. Bref, je fais attention à bien manger.





13h00 à 18h00

Je boucle mes devoirs, les tas de dossiers que j’ai à faire, le boulot à côté aussi. J’essaie de me reposer un peu, enfile un antalgique. Je suis assez « récalcitrante » aux médicaments, mais aux grands maux, les grands remèdes. C’est d’ailleurs assez paradoxal. Je déteste les médicaments, mais je l’oblige à prendre les siens. Mais ça n’est pas pareil, c’est sa vie qui est en jeu. Et pas question qu’il la perde.





19h00
 

Je suis fébrile. Je sais qu’il termine dans ces environs.  J’ai hâte de savoir comment il va, comment était sa journée. Et de lui parler, tout simplement. Je regarde de temps en temps l’horloge sur mon PC. J’y suis toujours accrochée de toute façon. Mon travail se fait moins assidu. Tant pis. Ça suffit pour aujourd’hui.





20h00 à 23h00


Enfin il est là, et c’est tout ce qui compte. Enfin, il y a aussi le moral. Apparemment, journée difficile aujourd’hui. J’espère surtout qu’il n’a pas fait de crise, ça lui plombe le moral ça. Ça se comprend aussi. Le pire, c’est le SAMU. C’est pas le confort grand luxe mais c’est un bien arrivée en grande pompe par contre. L’idéal. Ça n’était pas pour aujourd’hui. Tant mieux. J’avoue que je n’aime pas trop ça. Je n’aime pas savoir qu’il va mal, ou qu’il souffre.
Je n’ai pas pitié. Ça ne m’est d’ailleurs jamais arrivé envers lui. Il n’a jamais fait en sorte que j’en éprouve. Et jamais je ne me permettrais de le faire. Ce jour-là, j’aurais cessé d’être une amie. Je préfère me concentrer sur ce qui ne va pas. Le faire parler un peu, que ça sorte enfin de ce sac dans lequel il enferme tous ses mots durant la journée. Il parle autant qu’il veut, et je réponds ce qui me vient comme réaction, ce que je ressens. Pas de détours. Pas de faux-semblants non plus, entre nous. Ça gâcherait tout.
Parfois c’est moi qui parle, moi qui vais mal, et lui qui me console. Il dit toujours qu’il n’a pas le monopole de la douleur. C’est vrai. Et j’aime bien quand il dit ça. Parfois tout va bien, et là, c’est délires et compagnie. De toute façon, le but est toujours qu’on finisse tous les deux avec le sourire. Ça marche souvent.





00h00 à 7h00


Je vais me coucher. Il paraît qu’il faut dormir, dans la vie. Parfois, je me demande qui a écrit cette règle stupide qui ne me donne jamais assez d’heures de sommeil. Là ça va encore. Mais souvent, je reste un peu après qu’il soit parti. Histoire de finir deux ou trois petites choses. Je repense à notre conversation, et je ris doucement. J’ai le sourire aux lèvres, la plupart du temps. Notre mission est souvent accomplie. Et parfois pas. Dans ces cas-là, je me sens mal. Pas parce que je n’ai pas réussi mon rôle de « garde-malade », parce que je ne l’ai pas. Mais parce que je préfère quand mon meilleur ami sourit. Qui ne le préfèrerait pas ?
Je dors enfin. Mes rêves ne sont pas toujours roses, mais je suppose que je ne suis pas la seule. Je n’ai pas à me plaindre. Parfois je rêve de lui mais je fais souvent des rêves louches, alors ça ne m’étonne pas plus que ça. On est un peu cinglés tous les deux, ça doit être pour ça qu’on se rencontre dans mes rêves.
J’ai une amitié en or, que je ne romprais pour rien au monde. Souvent, on dit qu’on serait prêt à donner son sang, sa moelle osseuse, son rein, pour un malade. C’est ma vie que je donnerais. Pour mon ami. Pas pour mon ami qui est épileptique. Mon ami tout court. C’est déjà bien suffisant, non ?

bottom of page